Introduction
Dans le cadre de cet exposé, « Les caractéristiques du yoga selon André Van Lysbeth », et s’agissant d’un atelier, j’alternerai notions théoriques et exercices pratiques. Car, comme son nom l’indique, un « atelier » est un endroit dans lequel on travaille. Concernant la vie d’André Van Lysbeth, je n’ai pas été en mesure de trouver beaucoup d’informations. Cependant, cela ne constitue pas un obstacle puisque, au cours de cette étude, je m’attacherai à vous présenter André Van Lysbeth en tant qu’Homme et Chercheur qu’il fut.
Tout au long de cet atelier-conférence, je m’évertuerai à lui rendre le vibrant hommage auquel, à mon sens, il a droit. Et si, à partir de maintenant, je le nomme « Maître », ce n’est pas parce qu’il fut un dominus, un dominateur, quelqu’un qui donne des ordres. Car, d’après les témoignages que j’ai pu recueillir auprès de personnes l’ayant bien connu, il avait l’humour et l’humilité du Chercheur. Toute son oeuvre a plutôt été destinée à susciter des vocations et j’en suis la preuve vivante. Il a incontestablement été un véritable « Magister »,autre terme latin qui désigne le « Maître », celui qui enseigne, partage et donne et qui maîtrise une discipline, une technique… Et j’affirmerai en l’occurrence, qu’entre ses égaux, il était le premier.
Et c’est à travers ses différents ouvrages connus de tous : « J’apprend le yoga », « Je perfectionne mon yoga », « Prânayâma » (la dynamique du souffle), « Tantra » (ou le culte de la féminité) et « Ma séance », mais aussi ses multiples revues « Yoga » qu’il nous à transmis non seulement sa connaissance, mais également le fruit de Ses multiples expériences et réflexions. Et c’est à nous désormais, qu’il appartient de continuer son oeuvre.
Je pense qu’il est possible de définir le yoga du Maître comme étant une science, une thérapie, un art de vivre devant aboutir finalement à l’éveil de la conscience qui permet à l’individu de dépasser sa condition d’humain pour atteindre l’état d’Homme. Voilà donc les différents points que j’aborderai successivement aujourd’hui. Mais avant toute chose, je vous indiquerai l’orientation que j’aimerais prendre et maintenir tout au long de cette étude.
Premièrement, je vous proposerai de vous placer dans un état d’ intériorisation pendant tout le temps que durera cet atelier-conférence. A cet effet, je vous proposerai de commencer par la pratique d’un exercice de respiration et de concentration.
Deuxièmement, je vous demanderai de pratiquer les différents exercices en yunjanayoga. Pour celles et ceux qui auraient oubliés ce dont il s’agit, je rappellerai que cette technique qui nous vient originellement du Cachemire et qui s’est développée dans toute l’Inde, consiste à effectuer l’exercice mentalement au moyen de la visualisation avant de le pratiquer effectivement.
Enfin, si un point vous semble peu clair, et plutôt que de partir sur une mauvaise piste, n’ hésitez pas à m’interrompre pour me poser une ou plusieurs questions. Un atelier se doit aussi d’être vivant.
Pour commencer, je vous demanderai, afin que nous constituions tous ensemble une unité d’esprit et de conscience, de vous asseoir dans la posture qui incarne pour vous la détente et le confort : dos droit tête à l’aplomb des épaules, menton légèrement rentré, yeux clos. Placez et maintenez une respiration lente et profonde au plus bas de votre ventre, environ trois travers de doigts sous le nombril; et respirez ainsi quelques instants. Ensuite, visualisez votre nez sous la forme d’un triangle, pointe tournée vers le haut et lentement et profondément, inspirez par la narine gauche,faites monter l’air jusqu’à la pointe du triangle et toujours aussi lentement expirez par la narine droite. Et inspirez à nouveau par cette même narine, puis expirez par la narine gauche et ainsi de suite.
Après quelques instants, sentez le calme qui s’installe en vous, puis la stabilité de tout votre être, et enfin la quiétude. Je profiterai de cet instant pour vous rappeler que des études effectuées aux Etats-Unis dans les années 1980 au moyen de l’électro-encéphalographe, ont démontré de façon scientifique, toute la valeur de cet exercice. En effet, au cours de ces expériences, il est apparu que des exercices tels que nâdi sodhana et anuloma viloma avaient pour effet de faire travailler séparément nos deux hémisphères cérébraux et favorisaient ainsi une certaine dualité en nous. Celui-ci, au contraire, a pour effet de les réunir favorisant ainsi l’unité, d’où cette profonde quiétude que vous pouvez ressentir actuellement. Je vous encouragerai donc à le pratiquer à chaque fois que l’occasion se présentera à vous. Par exemple, lors de l’attente prolongée d’un bus, d’un train, dans une administration…
Tout en continuant à pratiquer cet exercice, écoutez la définition de la méditation qu’en donne Jon Kabat-Zinn dans son ouvrage « Méditer » (108 leçons de pleine conscience) : « par-dessus tout j’en suis venu à considérer la méditation comme un acte d’amour radical, un geste intérieur de bienveillance et de bonté envers soi même et les autres, un geste du coeur qui reconnaît notre perfection, y compris dans notre évidente imperfection avec tous nos défauts, nos blessures, nos attachements, nos contrariétés et nos habitudes personnelles de non conscience ».
Et maintenant, revenez doucement et progressivement à la conscience objective.
Je poursuivrai à présent avec le premier point.
1- Le Yoga est une science
a) Quelques considérations
Pour bien des gens, le yoga se résume comme étant la compilation de techniques de relaxation, de bien-être, d’aquisition de la souplesse pour effectuer des postures de haute technicité. Ce qui amène certains à s’extasier devant tel ou tel exercice de contorsion. Par ailleurs, il existe nombre de magazines qui limitent la pratique et les effets du yoga à la beauté plastique du corps. On y trouve pêle-mêle : postures, régimes alimentaire, publicité pour tel ou tel produit miracle, crèmes solaire… Enfin, je citerai toutes celles et ceux qui décident d’enseigner tel ou tel aspect du yoga tout en excluant les autres. Je donnerai ici les noms de kundalini yoga, yoga énergétique… Or, il va de soi qu’il est impossible à quiconque de pratiquer un véritable yoga de la kundalini en assistant uniquement à un cours de 90 minutes par semaine. Pour s’en convaincre, il nous suffit de nous plonger dans l’un des ouvrages autorisés, tels ceux de Sri Shivananda. Nous nous apercevrons que pour arriver à un résultat, il est nécessaire d’adopter une discipline de vie que bien peu d’adeptes sont prêt à accepter. Une enseignante de yoga, pour convaincre ses coreligionnaires des bienfaits du yoga, a même commercialisé ce qu’elle a appelé « le Tora yoga ».
Le Maître a fort heureusement compris que le yoga était bien autre chose, et qu’il se passait bien au delà de tout cela. Le yoga de par sa racine « yug », n’a pas pour vocation de disperser, mais bien au contraire de « réunir ce qui est épart », d’unifier tout ce qui est. Et c’est à dessein je pense, qu’il a emprunté à Sri Aurobindo son terme de « yoga intégral ». Je vous rappellerai que celui-ci se compose :
- Du hata-yoga, constitué principalement de postures. Ce qui permet au yogin et à chacun d’entre nous d’agir sur les parties solides et liquides de notre corps
- Du prânayâma, composé d’exercices respiratoires nous permettant d’agir sur la vie cellulaire et sur les éléments aériens et ignées qui nous composent
- Enfin dhyâna, la méditation qui nous permet d’aborder les techniques de concentration, de contemplation, de visualisation, et qui, à mon sens, constitue une sorte d’enveloppe qui enserre et maintient tout l’ensemble.
Or, dans ces conditions, comment serait-il possible de concevoir d’une part, un enseignement morcelé du yoga et d’autre part, un yoga qui se suffirait à lui-même? Et c’est pourquoi le Maître, dans ses ouvrages, ses revues, ses différents articles, a toujours replacé le yoga dans le Tout, celui-la même auquel il appartient indissociablement. Comment aborder l’étude du yoga sans parler de l’Homme? De la place qu’il tient au sein de l’univers ? Si on parle de l’homme, comment ne pas aborder l’étude de la cellule, de l’atome et de se poser nombre de questions. Et enfin, puisque l’homme fait partie du microcosme, comment ne pas étudier les lois qui régissent le macrocosme tant sur le plan visible, qu’invisible ? Les grecs de l’Antiquité l’avaient déjà bien compris.
Le yoga est par conséquent une science universelle puisque, au-delà des pratiques, il inclut la Connaissance du Tout. Il est cette science qui permet à l’homme de réconcilier, d’harmoniser toutes les paires d’opposés qu’il est susceptible de rencontrer tout au long de sa vie et dans tous les domaines. Le yoga embrasse tout, parce qu’il fait lui même partie du Tout. Il y a quelques minutes, lorsque je vous ai défini ce qu’était le « yoga intégral », j’ai fait allusion au quatre éléments, à savoir la terre, l’air, l’eau, le feu. Les alchimistes et hermétistes se sont toujours intéressés à ces quatre éléments auxquels ils ajoutent l’éther. Mais comme je vous l’exposerai dans la troisième partie de cette étude, il est en réalité possible d’en dénombrer sept.
b) Les apports de la science moderne
Le Maître s’est souvent heurté avec une partie du corps médical, celle-là même qui refuse d’ouvrir les yeux et de considérer des principes qui ne viennent pas de leur dogme. Et c’est bien là le problème car, à mon sens et comme l’écrivait Descartes : « il ne faut rien nier à priori, rien n’adopter à priori ». Par conséquent, une personne qui se dit scientifique, doit pouvoir s’ouvrir. Et lorsque je parle d’ouverture, cela ne concerne pas uniquement les facultés cérébrales, mais aussi et surtout le cœur. A ce propos, Rabelais ne disait-il pas : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ainsi, il est important que la science ait pour but d’améliorer sans cesse le bien-être de l’homme, et pour mission de le servir et non de l’asservir. Et en cela, le Maître a toujours effectué ses démarches en ce sens. Il n’a jamais hésité à aller chercher des informations sur de nouvelles découvertes soit auprès de médecins, soit dans les diverses revues scientifiques. Sa démarche a toujours été de trouver un point de contact entre le yoga et la science qui ne se préoccupe plus aujourd’ hui que de la matière. La science contemporaine a surtout permis de prouver que le yoga, bien avant les positivistes du dix-neuvième siècle, était une science. Une sorte de science avant la science. Et grâce au nombreux matériel et autres moyens d’investigation dont disposent les scientifiques aujourd’hui, il a été possible de démontrer de mesurer les effets des postures et exercices respiratoires. Plus de 3000 ans avant la découverte du docteur Harvey au 16 siècle, les yogin connaissaient l’existence de la circulation sanguine. Ainsi, grâce a tous ces appareils plus ou moins sophistiqués, on a pu prouver, mettre en évidence les grands principes, l’efficacité qui font la force du yoga. A savoir :
- Lorsqu’on étire un membre, une partie du corps, on la vide de son sang, en quelque sorte on nettoie en profondeur, cette partie, ce membre
- Lorsqu’au contraire, on comprime une partie du corps tel un viscère, on l’irrigue
- Comme je vous l’ai dit au début de cet exposé, grâce à l’ électroencéphalographe, on a pu prouver la réelle efficacité des exercices respiratoires
On a enfin pu prouver qu’un méditant aguerri, lorsqu’il prenait comme objet de méditation son coeur et s’emplissait d’amour, produisait des photons sous la forme d’une lumière bleue. L’homme d’aujourd’hui est comme Saint-Thomas, il ne croit que ce qu’il voit, il est éduqué ainsi. Il fait plus confiance à des informations qui lui viennent de l’extérieur qu’à celles qui émanent de son intérieur propre. C’est pourquoi il doute de tout, que la vraie science est celle qui se voit, se mesure, se pèse. Il ne prend plus le temps de s’informer auprès de lui même. D’où ses états de mal-être, d’anxiété, d’angoisse, de maladies chroniques… Or, les yogin, esséniens thérapeutes, alchimistes, hermétisites savaient quant à eux, que la vraie guérison ne peut venir que de l’intérieur.
2- Le Yoga est une thérapie
A partir de ce qui vient d’être dit, il est possible d’affirmer que se soigner par le yoga n’est pas une utopie, loin de là.
a) Expériences
Puisque vous êtes restés assis assez longtemps dans la même position, je suppose que vos jambes ont besoin à présent de retrouver un peu de leur liberté. Pour cela, je vous proposerai la pratique de ardha-pashchimottanâsana en élévation :
- Asseyez-vous au sol, dos droit, jambes étendues devant vous
- Puis, repliez la jambe gauche, plante de pied à plat au sol, cuisse plaquée contre le thorax, croisez les doigts et enlacez le genoux, détendez l’épaule droite, afin de respirer par le gril costal droit, effectuez dans cette position dix respirations lentes et profondes, chacune d’entre elles étant divisées en quatre temps : inspiration, rétention, expiration, pause
- A présent, à l’aide de vos deux mains, saisissez la plante du pied et tendez la jambe devant vous et en hauteur et respirez comme précédemment, suivant le même rythme
- Enfin, placez la main droite sous le talon gauche, la main gauche saisissant les orteils, détendez votre pied, puis votre jambe et laissez votre main droite pousser celle-ci vers votre nez. Votre jambe doit être pareille à celle d’une poupée de chiffon, respirez dix fois comme précédemment
A la fin de cet exercice, reposez la jambe, allongez vous et écoutez ce que vous dit votre corps, sans juger, vous constatez seulement.
(Après trois minutes de relaxation, procédez de la même façon avec l’autre jambe).
La seconde posture que je vous demanderai d’effectuer est « l’archer en tension ». Pour cela :
- Asseyez-vous au sol, dos droit, jambes étendues devant vous
- Saisissez maintenant le pied gauche avec la main droite et glissez votre main gauche sous le mollet droit
- Après quoi posez votre coude gauche au sol entre les jambes
- Tirez fortement sur votre pied gauche avec votre main droite et poussez vers le haut votre jambe droite à l’aide de votre main gauche et dans cette position, sans vous relâcher
- Effectuez dix respirations comme précédemment
- Enfin, revenez, allongez-vous et écoutez ce que vous dit votre corps
Après trois minutes de relaxation, procédez de la même façon avec l’autre jambe.
Si j’ai choisi ces deux postures, c’est parce qu’elles permettent d’en ressentir immédiatement les effets.
b) Les bienfaits thérapeutiques du yoga
Lorsque je donne un cours, je précise toujours à quoi sert tel ou tel exercice, telle ou telle posture. Je pense que cela est important et ce à double titre. D’une part, parce qu’il est important de prendre conscience de ce que l’on fait et ce, dans tous les actes de la vie. Cela permet de développer ce que l’on appelle « la pleine conscience ». D’autre part, parce que la conscience jointe à l’exercice ou à la posture ajoute une plus-value, ce qui contribue à leur donner la puissance nécessaire pour atteindre le but recherché. Ainsi, la pratique du yoga peut s’effectuer soit à titre préventif, soit à titre curatif.
A titre préventif, je citerai deux prânayâma connu de tous : uddiyanabandha et nauli. Comme vous le savez sûrement, ils agissent directement non seulement sur la respiration intracellulaire et constituent une véritable cure de jouvence, stimulent le système immunitaire et « agni » le feu digestif. Je vous rappellerai que, jusqu’au Moyen Âge, « agni » désignait ce que l’on appelle aujourd’hui la kundalini. Et que « kunda » signifie le « creuset » dans lequel on effectue les opérations alchimiques, celles-la même qui permettent la transmutation du « plomb » ou de « l’étain » en « or ».
A titre curatif je citerai les deux exercices que nous venons d’exécuter :
- Le premier favorise le retour veineux et peut être pratiqué en cas de problèmes circulatoires au niveau des jambes : jambes lourdes, varices…
- Le second quant à lui, permet d’irriguer fortement tout le bas ventre et stimule le muscle cardiaque
Mais je pourrai également vous citer « bhujangâsana » bénéfique pour celles et ceux qui souffrent d’ hyperthyroïdie et « sarvangâsana » que je conseillerai au contraire aux hypothyroïdiens et les exemples sont nombreux. A ce propos, je vous ferai remarquer que toutes les méthodes thérapeutiques qui ont vu le jour au vingtième siècle ont emprunté au yoga l’un ou l’autre de ses aspects. J’en citerai quelques une : les méthodes Jacobson, Schultz, Pilates, la sophrologie du docteur Cciicedo… C’est pourquoi, conscient de l’efficacité d’une pratique régulière du yoga, le Maître insistait bien sur la distinction entre gymnastique et yoga.
En effet, la gymnastique qui permet l’entretient du corps physique utilise pour arriver à ses fins, le système nerveux cérébrospinal, celui qui est volontaire. J’ai la volonté de tendre ma jambe, de plier mon bras… Les effets sont ici visibles. Le yoga quant à lui joue sur un autre registre. Il utilise et agit sur le système nerveux autonome qui lui-même se divise en deux branches : le système nerveux sympathique et parasympathique. Il s’agit du système nerveux involontaire qui gère nos fonctions cardiaque, respiratoire, digestive, hormonale et endocrinienne…
C’est pourquoi le Maître indiquait toujours avec une grande précision, comment pratiquer telle ou telle posture, ses bienfaits, ses contre-indications. Car il savait parfaitement que, plus une chose est bonne et efficace, ô combien elle peut être préjudiciable si elle est mal utilisée, mal pratiquée. Cependant, le Maître savait aussi que le yoga ne se limite pas au simple plan physique, celui de la matière, même si celui-ci a son importance. Il savait que le yoga peut permettre à l’homme d’accéder à d’autre plan, de dépasser sa condition d’ humain pour être véritablement en se débarrassant des chaînes qui l’entravent à tous les niveaux et le font souffrir.
Cette réflexion m’amène tout naturellement à développer devant vous la troisième partie de cet exposé que j’ai intitulée :
3- De la condiction d’humain à l’état d’Être
a) Généralités
En cela, il était un véritable humaniste, mettant toujours l’homme au premier plan. C’est pourquoi il s’est intéressé à des domaines aussi différents que l’anatomie, la physique des quantiques, la neurologie, la sociologie… Or, peu d’ouvrages de yoga, de revues offrent un tel panel de connaissances. A travers ses écrits, il a partagé avec le lecteur le résultat de ses recherches, le fruit de ses expériences et de ses réflexions. Il a toujours incité le lecteur, le pratiquant de yoga à prendre conscience de ce qui se passe autour de lui et en lui, à l’image de Gourdjieff qui voulait réveiller les « endormis » que nous sommes. Et c’est dans cette même veine que je poursuivrai cette étude.
Dans mon ouvrage intitulé « De la matière au temps », au chapitre « conscience et alchimie », je définis tour à tour ce que sont la « condition » et 1′ »état ». Et j’écris en substance que la « condition » signifie une situation dans laquelle l’individu est placé et qu’il vit ainsi continuellement dans le conditionnement, celui-ci déterminant son existence, donc son devenir. Je cite à ce propos l’atmosphère familiale, la religion, l’éducation scolaire, les médias … et je poursuis en constatant que tout ce conditionnement est mis en place en vue de préparer l’individu à être un bon croyant, un bon citoyen, un bon consommateur… et pose enfin la question : la conscience là-dedans, qu’en fait-on ? Quant à la définition de l’ »état », je part du terme latin « status » qui indique une manière d’être de nature fixe et durable. Et j’en conclue que l’ homme en pleine conscience est ainsi en mesure de décider librement ce que doivent être ses pensées, l’expression de ses paroles, la manifestation de ses actes. Car c’est non seulement par la pleine conscience, mais aussi par la Connaissance que l’homme peut passer à la condition d’humain à un état d’Être.
A ce titre je pense que le yoga et en particulier le « yoga intégral » est une voie qui permet cette transmutation. En effet, par les âssana, les exercices respiratoires, les techniques de concentration, de visualisation, de méditation, par cet incitation continuelle à prendre conscience, le pratiquant est amené à s’unifier. Car comme vous la savez sûrement, par nature l’homme est triple : physique, psychique et spirituel. Et en cela, le Maître insistait sur le fait qu’être en bonne santé, libre, heureux ne signifiait pas avoir un corps physiquement bien entretenu, avoir de l’argent, être propriétaire… Mais que cela impliquait que l’homme effectue un véritable travail sur lui-même. A savoir : sur le plan spirituel, prendre conscience qu’il n’est pas seul sur terre, ni même dans l’univers, qu’il est Un parmi tant d’autres, que ses pensées ont une influence déterminante sur les autres plans et qu’il est capable d’harmoniser les énergies, les forces qui le régissent. Sur le plan psychique, l’homme doit avoir un mental stable et « non souillé » comme le disent les textes anciens. Et qu’enfin sur le plan physique, il prenne conscience de son corps, ainsi que de toute la matière qui l’entoure, mesurer la portée de ses actes, car ces derniers seront inéluctablement source de réactions. Il rejoint ainsi dans leurs enseignements, les traditions, religions et philosophies diverses qui affirment que l’ homme doit revenir à l’unité pour se réaliser pleinement.
A mon sens, la « materia prima » dont nous parle les alchimistes et hermétistes dans leurs textes, n’est autre que la « conscience ». Car, si « au commencement était le Verbe », c’est à dire le son, donc la vibration, par conséquent l’énergie, il faut bien que ce « Verbe » ait eu une conscience pour créer. Et le texte continue en affirmant « et le Verbe était Dieu », donc Conscience. Un autre texte ajoute que « l’ homme a été créé à l’image de Dieu », par conséquent l’homme est conscience. La philosophie orientale nous dit qu’il faut vaincre l’ignorance (avidyâ). Or, si l’on est ignorant, on n’est pas conscient de la réalité.
Comme vous pouvez le constater, tous ces textes qui nous viennent de traditions et religions différentes ne se contredisent pas, bien au contraire, ils se complètent. Ce qui nous apporte la preuve que la Vérité est partout et qu’elle ne fait que se manifester sous diverses formes, sous différents aspects. Je ne pense pas trahir la pensée du Maître en affirmant que pour atteindre cet état de conscience, il est indispensable de connaître. Or, connaître c’est comprendre, et comprendre c’est aimer. D’ailleurs, lorsque vous lisez avec attention ce que le Maître à écrit, vous vous rendrez compte, vous ressentirez que toute son oeuvre a été guidée par les trois principes que sont la connaissance, la compréhension et l’amour.
b) Eléments et principes
Dans toutes les traditions les éléments tiennent une place importante même s’ils sont différents dans l’une ou l’autre. C’est ainsi que :
- Le Tao en distingue cinq : la terre, l’eau, le feu, le bois et le métal
- Les alchimistes et hermétistes en dénombrent cinq autres : la terre, l’eau, le feu, l’air et l’éther
- Dans le boudhisme se réclamant du Grand Véhicule (Mâhayana), ce nombre va jusqu’à douze
- Quant à la Kabbale et la religion judéo-chrétienne , elles en utilisent principalement trois : le feu, l’eau et l’air
Quant à moi, je préfère travailler sur sept éléments, à savoir :
- L’élément terre qui joue un rôle de réceptacle et manifeste la solidité des corps
- L’élément eau qui humidifie et permet la cohésion au sein des corps. Je vous rappellerai à ce propos que cette cohésion agit en même temps que trois autres principes physiques que sont l’adhésion, l’attraction et la répulsion
- L’élément feu qui échauffe et permet l’assimilation tel le feu digestif
- L’élément air qui permet la co-traction et la dilatation, actions que nous retrouvons dans tout ce qui vit, le meilleur exemple en est notre système respiratoire
- L’élément espace qui permet non seulement à chaque chose de se développer, mais également aux énergies de circuler
- L’élément temps qui a pour fonction de transformer. A cet égard, je citerai une pensée d’un alchimiste français du vingtième siècle Eugène Canceliet qui affirmait : « le temps, c’est de la matière ». En effet, le temps étant une création mentale, c’est à nous qu’il appartient de le modeler
- Et enfin, la conscience, qui nous permet d’appréhender tout ce qui nous entoure, non seulement sur le plan visible, au moyen de nos cinq sens, mais également sur le plan invisible grâce à l’intuition et à l’intelligence du coeur
Or, dans la pratique du « yoga intégral » nous appréhendons et unifions ces sept éléments. Il est ainsi possible de considérer que :
- La Hatha-yoga s’intéresse plus particulièrement aux deux premiers (terre, eau)
- Le Prânayâma quant à lui met en mouvement l’air et le feu
- Et enfin Dhyâna qui nous permet non seulement, de prendre conscience d’éléments impalpables que sont l’espace et le temps mais aussi, d’agir sur eux
Dans certains de ses articles, le Maître aimait à nous présenter des visualisations, des méditations qui nous permettent de remonter dans le temps, de retourner dans certains espaces. A ce propos, j’aimerai que nous partagions l’une de ses expériences :
- Assis dans la posture de votre choix, dos droit, tête à l’aplomb du corps, yeux clos
- Placez votre respiration au plus bas dans votre ventre et respirez lentement et calmement
- Puis, remontez le temps en vous voyant lors de différentes circonstances de votre vie, peu importe que ces situations aient été tristes ou gaies; et remontez ainsi jusqu’à votre naissance
- Voyez également vos ascendants
- Imaginez les ancêtres que vous n’avez pas connus mais dont on vous a parlé
- Continuez à remonter le cours des âges, pour cela, remémorez vous la Renaissance, le Moyen Age, l’Antiquité et ce jusqu’à l’Âge de pierre
- Songez qu’avant d’être un bipède, l’homme était un quadrupède
- Et qu’avant d’être un quadrupède, il rampait
- Et qu’avant cela, il vivait dans l’eau
- Et enfin, qu’au tout début, il n’était qu’une bactérie flottant au milieu de l’océan
- Restez quelques instants dans cet état, sans penser, ressentez seulement
Revenez maintenant doucement à la conscience objective en ouvrant les yeux. Le Maître disait que le corps de l’ homme était un grand aquarium. Peut être que cette réflexion guidera certaines de vos méditations futures ? Cependant, il ne suffit pas de dénombrer x éléments pour que cela fonctionne. S’agit-il encore de les combiner. Et pour cela, il convient de connaître et de respecter les lois universelles qui les régissent. Ici, je me référerai aux sept principes énoncés par les hérmetistes dans le Kybalion. Ce sont des principes clairs qui ne nécessitent pas un développement particulier, mais demandent plutôt une bonne compréhension et une juste application.
- Le principe de mentalisme qui veut que tout ce qui est créé doit au préalable avoir été pensé
- Le principe de correspondance qui nous est énoncé dans la « Table d’Emeraude » affirme : « tout ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas »
- Le principe de vibration qui est à l’origine le Verbe, l’Esprit, nos atomes eux-même répondent à cette loi
- Le principe de polarité : c’est Ida et Pingala nadi entre autre
- Le principe de rythme que nous trouvons dans nos systèmes respiratoire et cardiaque
- Le principe de cause et d’effet, la loi du karma
- Le principe de genre : toute chose à en elle, une polarité masculine et une polarité féminine
Cependant, connaître les éléments, les principes, les combiner avec justesse, être conscient, cela implique aussi d’être responsable. Et dès qu’il en ressentait la nécessité dans ces écrits, le Maître ne manquait pas de faire ressortir ce trait caractéristique. Pour lui, le yoga était la voie qui permet à un individu d’acquérir des vertus telles l’humilité, la tolérance, la compréhension de l’autre, mais aussi le courage, la persévérance… Une voie qui permet à l’individu qui le souhaite, d’être stable, maître de son existence. En conclusion, j’affirmerai qu’André Van Lysbeth est un Homme qui sera encore pour longtemps une référence pour tous les yogin d’occident.
Je terminerai cet exposé par deux citations :
- La première est de l’alchimiste allemand de la Renaissance Michael Maieur qui énonce : « experientia firmet lumina » (que l’expérience te fortifie les yeux)
- Et la seconde citation est plus récente puisqu’elle nous vient de Louis Cattiaux, peintre et alchimiste français du 20e siècle, dans laquelle il énonce : « l’intuition associée à la bonne volonté engendre la puissance de l’amour qui mène à la perfection de l’union dans la paix ».
Avant que nous en venions aux questions, j’aimerais que pendant quelques instants de méditation nous rendions hommage à ce Maître que fut et reste André Van Lysbeth.